Le Rosicrucianisme
son histoire
La préhistoire
Il n’existe aucun document prouvant l’existence en Angleterre d’une société rosicrucienne dans les années 1860. Les « Rosicruciens de Manchester » (Manchester Rosicrucians ), société fondée en 1852 et disparue en 1859, ne s’intéressait qu’à des questions d’archéologie et d’histoire locale.
En revanche, en Ecosse, existait, dans les années 1850, une « Société Rosicrucienne » (Rosicrucian Society) dont le « Chef » ou « Maître » était le F. Anthony O’Neal Haye, rédacteur en chef du « Franc-Maçon écossais » (Scottish Freemason) ; le fameux historien maçonnique David Murray Lyon en était membre. La qualité de franc-maçon n’était pas requise, mais ils étaient nombreux. La sélection était sévère.
Cette société était divisée en neuf degrés, eux-mêmes répartis en trois Ordres. L’ouverture et la fermeture se faisaient au moyen du C… M…[1]
Deux maçons anglais, William James Hughan et Robert Wentworth Little, y sont admis le 31 décembre 1866. Le Ier degré (probablement dénommé Zelator) leur est conféré au cours d’une cérémonie, et le IIe par communication. Par la suite, ils reçoivent les degrés suivants, Little plus vite que Hughan : Little est IXe dès le 1er juin 1867, Hughan en automne.
Le même 1er juin 1867, à Londres, a lieu la fondation de la « Société Rosicrucienne d’Angleterre » (Rosicrucian Society of England) avec la participation de Little et de six autres maçons qui, semble-t-il, sont reçus Zelatores sans cérémonie. Hughan, absent, mais présent aux réunions suivantes, est nommé « Premier Substitut Magus » (Senior Substitute Magus), ce qu’il devait rester jusqu’à sa mort. Little est élu « Maître Général » ; son titre, par la suite, est : Supreme Magus & M. W. Master General. Sont également élus : un Trésorier Général, un Secrétaire Général et un 3e Ancien – la nomination d’un 1er et d’un 2e Ancien étant réservée pour plus tard. Le Maître Général, le Secrétaire Général et le 3e Ancien sont chargés d’élaborer un règlement.
Sans qu’on sache si c’était la pratique de la Société d’Édimbourg, on constate que tous les officiers étaient élus annuellement, y compris le Maître Général – bien que le titre de Suprême Magus ait été conféré à vie à Little. Aucune Patente n’a été délivrée par la Société écossaise, mais les relations sont étroites et constantes.
A l’origine, on élisait sept Anciens, qui portaient des appellations latines : Primus, Secundus, Tertius, etc., comme en Ecosse, et formaient un « Conseil des Anciens ». Cette particularité, d’avoir sept Anciens, s’est conservée dans le Collège Métropolitain d’Ecosse (qui fut fondé plus tard en 1873). Ces sept Anciens portaient les noms de : 1er, 2e, 3e et 4e Ancien du 1er degré (= Ordre) et 1er, 2e et 3e Ancien du 2e degré (= Ordre). De la sorte qu’à chacun était confié le rôle de superviser l’instruction relative à chaque degré, le 7e étant le plus élevé. Ces offices étaient occupés par les membres les plus anciens et les plus expérimentés, qui avaient en charge à la fois l’enseignement des membres et l’administration du Collège.
Dans le rituel primitif de Zelator, il semble que ces sept Anciens occupaient des emplacements déterminés. Le candidat leur était présenté successivement, ce qui symbolisait sa progression de ciel en ciel, et il recevait d’eux un enseignement relatif aux sept premiers degrés de la Société, avant d’être placé symboliquement au centre de la terre, les bras étendus comme dans les figures alchimiques, face à l’orient d’où vient la lumière, « plus de lumière ».
Quels rituels ?
La bibliothèque du Haut Conseil contient plusieurs rituels manuscrits. Le plus ancien se rapporte aux Ve et VIe degrés et porte la signature de Little. Il est très proche de celui qui est en usage de nos jours, bien qu’il ne comporte aucune cérémonie d’ouverture et de fermeture.
A noter aussi, entre autres, un rituel du IIe degré copié par Matheus et contresigné par Wynn Wescott, qui diffère du rituel actuel en ce que c’est le « Vénérable Principal Adepte » qui joue le rôle essentiel, au lieu du Célébrant, et que le Secrétaire Général tient le rôle aujourd’hui dévolu au Déclarant.
A signaler encore un rituel établi par Wescott pour les degrés du IIe au VIIe, avec les schémas de la disposition du Collège, les batteries des degrés, et indiquant la durée minimale entre deux degrés. L’appellation est ici aussi « Vénérable » et le Déclarant est nommé « Suffragant ». Un autre rituel, postérieur à 1891, couvre les mêmes degrés. Tous diffèrent peu des rituels actuels.
Quels étaient les rituels en usage en 1867-1868 lors de la fondation de la Société anglaise ?
Selon les recherches entreprises par un érudit, Frater Bruce Wilson, le Magus de la Société écossaise, le F. Anthony O’Neal Haye, avait procédé à une révision drastique des rituels en usage jusqu’en 1865 ; les nouveau rituels furent autorisés par une décision du Conseil d’Édimbourg le 19 janvier 1866 – et c’est probablement au moyen de ces rituels que furent reçus à la fin de la même année les FF. Little et Hughan. Fra. Wilson écrit (conférence à l’assemblée triennales de la SRIA à Manchester, 1937) :
« Ce rituel écossais se heurta à une opposition déterminée et quasi unanime des membres de la Société d’Angleterre, qui lui reprochaient ses tendances « Haute Eglise ». Le Suprême Magus décida donc de « revenir au rituel anglais », preuve qu’un tel rituel existait auparavant ; c’était probablement le rituel en usage à Édimbourg avant la révision du rituel officialisée le 19 juin 1866. Cela, joint au fait que la Société d’Édimbourg était usuellement qualifiée de « branche écossaise », et que les cérémonies d’ouverture et de fermeture sont identiques dans les rituels anglais et écossais, laisse à penser que, par le passé, une Société existait à la fois en Angleterre et en Ecosse, qui avait son quartier général en Angleterre. « C’est là, ajoutait-il, une question qui mérite d’être étudiée à part. »
Le rituel écossais révisé comporte quelques particularités. Après l’admission des candidats, était faite une lecture de l’Ecclésiaste (qui a disparu). Les épreuves par les éléments étaient au nombre de trois seulement : l’air, l’eau, et le feu, avec des commentaires d’une certaine ampleur. Venaient ensuite une exhortation, un extrait des saintes Ecritures, deux prières, un psaume, et une exhortation par le Célébrant. Lors de l’épreuve par le feu, on brûlait une mèche de cheveux du candidat. Parmi les qualifications exigées du candidat, on réclamait « la croyance en l’Etre unique, Tout-Puissant et Bienfaisant » ; mais la qualité de maçon n’était pas exigée.
Au témoignage d’un Frater anglais, Fra. Spencer, reçu à Édimbourg en 1857 (neuf ans avant la révision des rituels), l’obligation était assez longue, et on la prêtait « une main levée vers l’autel de la lumière et l’autre posée sur le Volume de la Sainte Loi ». Selon Fra. Wilson déjà cité : « Cette obligation, assez étendue, était impressionnante et d’un beau style. On n’en trouve plus trace, ni dans le rituel écossais après sa révision de 1866, ni dans le rituel anglais de 1868 : dans les deux, le candidat est au contraire informé qu’aucun serment n’est exigé à ce degré et qu’une promesse solennelle suffit ». Sans doute la suppression de l’obligation a-t-elle fait partie de la révision de 1866.
Les cérémonies pratiquées aux commencements de la Société.
La lecture des premiers procès-verbaux montre quelques tâtonnements au début. Ainsi, les candidats au degré de Zelator sont tantôt « admis », tantôt « reçus », tantôt « avancés », quelquefois « déclarés » – ce dernier terme indiquant une admission sans cérémonie. Il est parfois spécifié qu’ils sont « maîtres maçons de bon renom ». Jusqu’en 1869, la cérémonie est appelée « Rite de Perfection ». Exemple, le 8 octobre 1868, « les candidatures de douze frères, après avoir été proposées, secondées et votées, ont été retenues pour le degré de Zelator ; et ceux d’entre eux qui étaient présents (six), ont reçu le Rite de Perfection ». Ensuite l’appellation disparaît.
On constate aussi que les cérémonies des IIe et IIIe degrés ne commencent à être pratiquées qu’en décembre 1867, celle du IVe qu’en janvier 1868. Ces degrés étaient auparavant conférés par communication, comme continueront à l’être les degrés suivants : on ne relève pas de cérémonie du VIIe avant 1871. C’est ainsi qu’en octobre 1868, vingt-quatre frères sont promus, sans cérémonie, du IIe au VIIIe degrés ; la régularisation intervenant parfois quelques années plus tard lorsque toutes les cérémonies de tous les Ordres furent pratiquées. A noter que ces cérémonies comportaient toutes une « lecture » ou conférence, où il faut probablement voir l’origine de nos clavicules.
La même année 1868, en février, est approuvée une révision des règlements de la Société.
Il en résulte plusieurs notations intéressantes.
Le titre de la société est « La Société rosicrucienne d’Angleterre » (The Rosicrucian Society of England). Il en est dit : « La Société de la Rose-Croix (the Society of the Rosy Cross) est totalement indépendante. Elle a ses propres fondements et, en tant que corps, elle n’est en rien liée à l’Ordre maçonnique, à l’exception du fait qu’elle choisit ses membres au sein de cette Fraternité » (on sait que, sur ce point, la Société anglaise différait de la Société écossaise).
Les Officiers de la Société se composaient de « trois Magi, un Maître Général pour le 1er et le 2e Ordres, un Député Maître Général, un Trésorier Général, un Secrétaire Général et sept Anciens » ; tous ensemble constituent le « Conseil représentatif de la Confraternité » (Representative Concil of the Brotherhood. Ces Officiers, le Maître Général y compris, étaient élus annuellement.
Venaient ensuite des Officiers assistants : un Précepteur, un Conducteur des Novices, un Organiste, un Porte-flambeau, un Héraut, un Gardien du Temple et un « médailler » (medallist), nommés pour un an par le Maître Général. A noter que ce dernier ne porte pas ex officio le titre de Suprême Magus, titre que Little avait porté dès le début et qui était apparemment déconnecté de la fonction et décerné à vie.
En effet (article V) : « La Société sera composée, conformément aux anciens usages, de neuf classes ou degrés, le nombre de Frères de chaque classe étant limité comme suit :
1er degré de Zelator : 33
2e degré de Theoricus : 27
3e degré de Practicus : 21
4e degré de Philosophus : 18
Soit au total 99 pour le 1er Ordre
5e degré d’Adeptus minor : 15
6e degré d’adeptus major : 12
7e degré d’Adeptus exemptus : 9
Soit au total 36 pour le 2e Ordre
8e degré de Magister Templi : 6
9e degré de Magus : 3
Soit au total 9
Ces neuf seront considérés comme le 3e et suprême ordre, et auront droit à siéger au Conseil de la Société.
Le plus ancien membre du 9e degré sera désigné comme Suprême Magus, et les deux suivants comme 1er et 2e Substituts Magus (Senior & Junior Substitute Magus).
Le total des membres sera limité à 144, soit le carré de 12. Le nombre des Novices et des Aspirants ne sera pas limité, mais seuls les membres seront autorisés à assister aux cérémonies de la Société ».
A l’article VII, qui a trait aux qualifications des candidats, on lit : « Aucun Aspirant ne peut être admis dans la Société s’il n’est maître maçon, d’une bonne moralité, homme de vérité, de confiance et d’intelligence (truthful, faithful and intelligent) (…) Il doit avoir foi dans les principes fondamentaux de la doctrine chrétienne, être un véritable philanthrope et un sujet loyal (…) »
Après un vote favorable, on inscrit les noms des Aspirants sur une liste d’attente, la liste des Novices (roll of Novices), dans l’attente d’une vacance dans la liste des membres : alors ils sont de nouveau soumis au vote, par boules (ballots). Cela semble indiquer qu’au départ, dans l’idée de Little, la Société se composait d’un seul organisme – qu’on n’appelait pas encore Collège.
L’article X est intéressant : « Lorsqu’une vacance se produit dans un degré par décès, démission ou autrement, les membres de ce degré éliront parmi les frères du grade précédent ceux qui seront appelés à combler les vacances ainsi créées ». Ainsi chaque degré se gouvernait d’une façon quasi autonome.
Citons enfin l’article XI, aux termes duquel le Maître Général dirige « les affaires ordinaires » de la Société, avec l’assistance du Conseil ; en matière de rituel, ses décisions sont soumises au veto des autres Magi. Le Maître Général était donc une sorte de monarque constitutionnel aux pouvoirs limités – à la différence du Magus de la Société écossaise. De plus, il était élu annuellement. C’est ainsi que Little, véritable moteur et animateur de la Société à ses débuts, et Suprême Magus à vie, n’occupa les fonctions de Maître Général que pendant une année seulement.
Dès juillet 1868, la Société publia un périodique trimestriel, « Le Rosicrucien » (The Rosicrucian), au contenu très composite, depuis des études sur divers sujets d’ordre plus ou moins ésotériques : la Kabbale, les mystères antiques (d’Egypte, de Perse, et autres), et évidemment des sujets rosicruciens, jusqu’à des informations et comptes-rendus de toutes sortes sur la Société elle-même, mais aussi des études sur les Ordres maçonniques comme le Rite Ancien et Accepté, le Rite Cryptique, le Rite de Misraïm, l’Ordre de la Croix Rouge de Rome et de Constantin, etc., en passant par des comptes-rendus de livres, des hommages funèbres – et même de la poésie. Finalement, à la mort de Little, le Rosicrucien, dont il était l’âme, subit un coup fatal et, à la fin de 1876, il disparut à son tour.
Constitution du premier Collège en province, le Collège de Bristol
A l’origine, Little considérait visiblement que la Société devait se composer d’un organisme unique, celui de Londres, qui fut rapidement dénommé Collège (et même, une fois, Collège métropolitain). La Société était le Collège, et le Collège la Société.
Cependant, assez tôt, sur l’insistance de Fratres de Bristol (et principalement du Fra. Francis George Irwin, qui était un poulain de Little et qui, comme ce dernier, occupait d’importantes fonctions dans l’Ordre de la Croix-Rouge de Constantin), l’idée se fit jour de créer un collège subordonné à Bristol, très exactement à Weston-super-Mare. La demande fut une première fois rejetée par le Conseil de la Société, le nouveau Suprême Magus, Hughan, s’y opposant résolument. Elle eut plus de succès l’année suivante. A la réunion du 8 avril 1869, il est décidé que « le capitaine Irwin, de Bristol, sera autorisé à former un collège à Bristol, limité à douze membres, y compris lui-même en qualité de Principal Adepte ». C’est la première mention de ce titre, qui ne figure pas dans le règlement de la Société (pas plus que n’en sont définis les pouvoirs).
Le Collège se réunit pour le première fois le 29 décembre 1869, et on conserve la convocation, qui est ainsi libellée :
« Société Rosicrucienne d’ Angleterre
Le T. Honorable Lord Kenlis, Président d’honneur[2]
Fra. William James Hughan, T. R. Maître Général
Fra. Francis George Irwin, 30e, Principal Adepte.
Weston-super-Mare, 21 décembre 1869
Care Frater,
Vous êtes prié d’assister à la formation du Cercle Mystique au Masonic Hall, Weston-super-Mare, mercredi après-midi, 29 décembre 1869, à 6 heures précises.
Fraternellement vôtre
Benjamin Cox, 30e
Secrétaire Général Provincial.
Ordre du jour. Enregistrer des candidats et conférer le Rite de Perfection aux membres approuvés. »
Suit une liste de vingt noms. Parmi ces vingt noms, huit seulement furent admis : on se rappelle la différence entre candidats « aspirants » ou « novices » et candidats « admis ».
A noter que tous, sauf deux, et Irwin lui-même, indiquent leur rang au rite Ancien et Accepté.
Dans le Rosicrucien, on trouve cette information : « Le Collège des Rosicruciens de Bristol, a été ouvert avec un grand succès par le T. R. Fra. F. G. Irwin qui a admis plusieurs Aspirants au degré de Zelator. »
Ce n’est qu’à la réunion suivante, plus d’un an plus tard, le 2 janvier 1871, qu’apparaît la mention d’un Célébrant. Sont alors approuvés des règlements, ainsi intitulés : « Règles et ordonnances du collège provincial de Bristol et des comtés voisins », lesquelles sont, à part quelques ajustements mineurs, celles de la Société de Londres, et non pas un règlement provincial au sens actuel du terme.
Autre point à l’ordre du jour : Nomination (to appoint) du Célébrant, du Trésorier général, du Secrétaire général et des autres officiers du collège pour « régler toute affaire que le Principal Adepte pourrait déférer au Collège ».
L’apparition du titre de Célébrant est intéressante car, à cette date et jusqu’en 1891, le président du collège de Londres portait celui de « Maître du Temple ». Il appert des procès-verbaux que les cérémonies étaient menées par le Célébrant (d’où son nom) mais que la direction du Collège incombait bien au Principal Adepte.
A la même réunion, le Célébrant annonce qu’une vacance s’est produite dans le degré de Zelator et qu’en conséquence le Principal Adepte avait choisi l’Aspirant le plus ancien, le F. Whercat, pour la remplir. La cérémonie de Zelator fut alors accomplie « d’une manière efficace », dit le procès-verbal.
C’est au Principal Adepte qu’incombait la nomination de tous les Officiers « avec l’accord unanime des membres », est-il précisé, sans qu’il soit indiqué comment cet accord se manifestait. Ces Officiers étaient : le Célébrant, le Suffragant (qui jouait le rôle présentement dévolu au Déclarant), les quatre Anciens, l’Organiste, le Porte-flambeau, le Héraut et le Gardien, sans parler des fonctions de Secrétaire général et de Trésorier général (qui étaient occupées par un même frère).
On parla aussi droits : droits au Collège provincial (celui de Bristol) et au Grand Collège (celui de Londres).
Après cela, on trouve mention, non dans les procès-verbaux du collège de Londres ni dans le Rosicrucien mais dans le Franc-Maçon, une information selon laquelle les effectifs du Collège de Londres, appelé « Collège métropolitain », seraient limités à 72, et ceux des deux Collèges subordonnés de Bristol et de Manchester à 36 chacun (au lieu de 12 précédemment). Cela de façon à respecter le total « mystique » de 144. Néanmoins, à la réunion du 13 juillet 1871, à la suite de cette information, le Suprême Magus précisa que la limite de 144 s’appliquait au Collège métropolitain lui-même, à l’exclusion des Collèges provinciaux.
Pour en finir avec le Collège de Bristol, on note, à sa troisième réunion, l’ « Election comme membre affilié du Frater John Yarker, Principal Adepte du Collège de Manchester » (il en était en réalité le « Secrétaire Provincial »). Nous reparlerons de Yarker et du collège de Manchester.
Il faut signaler l’envoi, en date du 30 août 1871, d’un projet de diplôme (il n’y en avait pas auparavant) dû à la plume du Secrétaire général provincial Frater Cox, qui le soumet pour approbation au Principal Adepte Irwin. Il convient de s’y arrêter quelques instants car il fut en usage dans les Collèges de Bristol et de Manchester, même si celui de Londres, en dépit des appréciations élogieuses de Little, ne l’adopta jamais.
Dans son envoi à Irwin, Cox le décrit ainsi :
L’inscription « Au Nom du Grand Architecte de l’Univers » (en initiales) est rédigée avec l’antique écriture de Moïse (c’est-à-dire en hébreu). Celles qui se trouvent autour et au-dessus du triangle le sont avec l’écriture chiffrée du 31e ; les mots sont : In principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum et Deus erat Verbum, et (en-dessous) : Lux e Tenebris.
Autour du cercle à l’intérieur du triangle : Le règne de Phtha est éternel (en français), avec les lettres du mot GOD à chaque angle. La croix à l’intérieur du cercle représente la lumière et les ténèbres, avec les quatre symboles de la terre, de l’air, de l’eau et du feu (…) J’ai placé deux cercles en bas de façon à former un triangle avec le précédent, ce qui fait un double triangle.
Yarker, nommé membre honoraire (et non pas membre affilié), adopta ce diplôme pour son propre Collège. En 1911 encore, il en envoyait une copie à Wescott en en attribuant l’idée première à Irwin, dont il reproduisait le commentaire que voici :
L’arc (l’arche) représente celui (celle) qui est dit avoir été établi en signe d’alliance entre Dieu et l’homme : c’est un important symbole rosicrucien. Les lettres en caractères mosaïques sur l’arc représentent les caractères anglais « au Nom du Grand Architecte de l’Univers », c’est un symbole de Dieu, les trois lettres formant le mot GOD étant placées chacune dans un angle.
Entre les triangles intérieur et extérieur sont les mots suivants : In Principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus erat Verbum. C’est l’une des principales clés rosicruciennes.
Le cercle entre les triangles intérieur et extérieur est un symbole de l’éternité. La devise qu’il porte est : Le règne de Phtha est éternel.
Le Triangle au centre du cercle est un symbole de la Divinité dans son caractère matériel, c’est aussi le symbole rosicrucien pour l’élément de l’eau.
Au pied du triangle sont les mots : Lux e Tenebris.
Le cercle extérieur à l’angle gauche représente l’éternité ; à l’intérieur se trouvent la colonne Jachin, disposée verticalement, et la colonne Boaz, qui la croise horizontalement, par allusion à la vie et à la mort. Jachin représente la Loi – l’homme – parce qu’il a été délivré par I [3], Boaz représente le principe féminin – la femme. L’union des deux produit X ou la Lumière.
Les figures entre les bras de la croix et l’arc représentent les quatre éléments.[4]
En avril 1873, on trouve trace pour la première fois dans les procès-verbaux d’un travail au second Ordre, au Ve degré d’Adeptus minor. Mais c’est aussi la dernière réunion qui soit mentionnée, et ensuite le Collège de Bristol semble être entré en sommeil (bien qu’il figurât longtemps encore sur la liste du Haut Conseil), surtout après le départ de son animateur Irwin qui, ayant perdu son fils unique en 1879, démissionna en bloc de toutes ses fonctions maçonniques et paramaçonniques, qui étaient nombreuses et importantes.
Le Collège de Manchester (ou plutôt de Manchester et des Comtés du Nord)
Ce Collège a été fondé à l’initiative de deux maçons, le frère Matier, efficacement aidé par un homme fameux pour son rôle dans la (re)naissance de la Worshipful Society, dite des Opératifs : Yarker.
Charles Fitzgerald Matier est reçu Zelator au Collège de Londres le 28 février 1871 et, le même jour, l’autorisation lui est accordée de fonder un Collège à Manchester : à cet effet, il est nommé Principal Adepte et on lui confère le IXe degré – on se rappelle cette pratique usuelle de conférer les degrés par communication, en régularisant la situation parfois des années plus tard.
Le nouveau Collège est fondé onze jours plus tard, le 11 mars. Les réunions se tenaient alternativement à Manchester et à Liverpool, avec des conférences à peu près à chaque fois, en sus des cérémonies : là encore il est question du « Rite de Perfection ».
Il devait fonctionner une vingtaine d’années, jusque vers 1890 ; après quoi, il n’y a plus trace de ses activités et il fut rayé des listes du Haut Conseil. Ses membres survivants devaient fonder en 1910 le Collège du Lancashire.
Essaimages
On peut citer un Collège éphémère, le Collège de Cambridge, fondé en 1871 et rayé des listes en 1887, et surtout le Collège d’York, consacré le 6 octobre 1877 par le Frater Matier, Principal Adepte de la Province des comtés du Nord (à savoir Manchester) et surtout Suprême Magus de la Societas Rosicruciana in Scotia, dont nous allons reparler. Ce fut, c’est notable, la première cérémonie de consécration d’un Collège pratiquée en Angleterre. Ce collège était itinérant : il se réunissait à York, à Sheffield, à Scarborough, etc. Nous y reviendrons.
A partir du Collège de Manchester se produisit un double essaimage. D’abord au Canada, dans l’Ontario, par l’intermédiaire d’un personnage assez douteux, une sorte d’aventurier des sphères maçonniques, le prince Rhodocanakis, qui s’était bombardé à la fois Grand Maître d’une Grande Loge de Grèce (fondée par lui à cet effet), Souverain Grand Commandeur du Rite Ancien et Accepté, et Suprême Magus dans ce même pays ; il avait donné une patente à un colonel canadien pour fonder un Collège dans l’Ontario. Cette entreprise ne fut pas durable.
Plus sérieuse fut la fondation du « Collège de l’Orient de l’Ecosse », à Édimbourg, le 24 novembre 1873, par le Fra. Matier, déjà nommé, qui installe un Principal Adepte, lequel nomme une série d’Officiers : un Suffragant, un Chapelain, un 1er, 2e, 3e et 4e Anciens « pour le 1er degré » (= Ordre, sans doute), et un 1er, 2e et 3e Anciens « pour le 2e degré (= Ordre), un Conducteur, un Trésorier, un Organiste, un Héraut, un Porte-flambeau. Donc sept Anciens, comme dans le collège primitif de Londres, futur Collège métropolitain.
Plusieurs candidats sont reçus au degré de Zelator et, dans la foulée, promus au degré de Theoricus.
On décide aussi qu’à chaque réunion serait prononcée une conférence « sur un sujet scientifique ».
Question importante : quel rapport y a-t-il entre ce Collège de l’Orient de l’Ecosse, et l’ancienne « branche écossaise » de la Société, dont il calque étroitement la structure (sept Anciens, etc.). Pour l’instant, je n’ai pas la réponse.
Toujours est-il que c’est là l’origine de la Societas Rosicruciana in Scotia, qui, anticipons un peu, devait devenir indépendante de la S.R.I.A. (dont nous reparlerons) en 1876.
Mais revenons à un autre et considérable essaimage.
L’Amérique
Le 25 juillet 1878, une délégation de trois Frères de la Commanderie Marie (Mary Commandry) de Knights Templar de Philadelphie (Massachussetts) furent reçus au degré de Zelator à Sheffield. Un peu plus tard, l’un d’eux, Fra. Meyer reçut à Londres le VIIIe degré de Magister Templi, tandis qu’un autre, Fra. Sutter, était admis au VIIe degré d’Adeptus exempti (sic) au Collège d’Édimbourg.
Les Fratres en question s’adressèrent, comme il paraissait logique, à la SRIA afin d’obtenir d’être mandatés pour créer aux Etats-Unis une Société rosicrucienne. Ils n’obtinrent aucune réponse. L’explication la moins malveillante tient au mauvais état des communications, pour ne pas dire à l’absence de communications entre Londres et l’extérieur, ce qui occasionnait des plaintes réitérées, et souvent véhémentes, de la part des Collèges de province. Une autre serait que l’Amérique n’intéressait aucunement le Collège de Londres.
Les Américains se tournèrent donc vers la Societas Rosicruciana in Scotia qui répondit favorablement et leur octroya une patente, en vertu de laquelle fut fondé, en 1879, le premier Collège américain, à Philadelphie, puis, en 1880, un second Collège à New-York.
Les chose allèrent ensuite très vite. Cette même année 1880 vit la création d’un Haut Conseil pour les Etats-Unis, d’abord intitulé Societas Rosicruciana Reipublicae Americanae, dont le Fra. Meyer fut le premier Suprême Magus, avant de prendre plus tard son appellation définitive de Societas Rosicruciana in Civitatibus Foederatis. (SRICF). S’ensuivirent les fondations de plusieurs autres Collèges, à Boston, Baltimore et Burlington (Vermont).
L’Histoire
Débute maintenant l’histoire proprement dite.
La fondation de Collèges séparés n’était pas dans les intentions initiales des promoteurs de la première Société rosicrucienne, elle s’était faite sous l’empire des nécessités. D’où l’absence d’une structure administrative permettent de tisser entre eux des liens solides : les Principaux Adeptes et les Secrétaires généraux de province se plaignaient fréquemment, on vient de le voir, d’être abandonnés à eux-mêmes.
D’où les réformes de 1874 et 1892
Le 24 avril 1874, les Magi et Magistri (IXe et VIIIe) résidant à Londres se constituent eux-mêmes en un Haut Conseil, investi « du gouvernement de la Société rosicrucienne » et décident de modifier les règlements en conséquence. Les titres de Maître général et de Député maître général sont abolis. En outre, le Collège de Londres portera le titre de Collège métropolitain.
Les modifications prirent du temps, et se firent d’une façon pragmatique. C’est ainsi qu’aux neuf membres primitifs du Haut Conseil furent adjoints les membres honoraires (IXe et VIIIe honoris causa) ainsi que deux représentants par Collège (en 1892, ils étaient trois seulement, le Collège métropolitain et ceux de York et de Newcastle).
C’est en 1892, lorsque Wynn Wescott, qui avait été six ans Secrétaire Général, devint Suprême Magus, que furent décidés des changements substantiels dans les règlements.
- Le VIIIe degré devint Magister tout court, et non plus Magister Templi ;
- Désormais, les degrés du 2e Ordre seront conférés par le Principal Adepte de la Province, ceux du 1er Ordre par le Célébrant, ceux du 3e Ordre étant réservés au Suprême Magus ;
- Les conférences tenues dans les Collèges seront communiquées au Haut Conseil ;
- Les Principaux Adeptes seront membres du Haut Conseil ;
- Les quatre Anciens porteront des robes appropriées. Ce n’était pas le cas auparavant : personne ne portait de robe, même le Suprême Magus – Wescott, à son installation, ne reçut qu’un bijou. Peu à peu, l’usage des robes s’étendit aux Substituts Magi et aux Hauts Conseillers. En revanche des bijoux existaient déjà, dont le dessin avait été approuvé en 1869.
- Les règlements provinciaux furent harmonisés avec ceux du Haut Conseil. Les premiers à l’être furent ceux de la Province d’York, approuvés le 14 janvier 1909. Ils comportent l’institution, auprès du Principal Adepte, d’un Conseil provincial pour l’aider dans l’administration de la Province, et qui réunit, outre le Principal Adepte et un Suffragant, un Secrétaire provincial, un Trésorier provincial, les Célébrants et Hauts Conseillers des Collèges de la Province et trois membres choisis annuellement par le Principal Adepte. Ce Conseil se réunit au moins une fois l’an.
- D’autres clauses régissent la formation des nouveaux Collèges et le fonctionnement de ces derniers. Elles sont, à peu de choses près, toujours en vigueur.
C’est également Wescott qui institua la procédure d’élection d’un nouveau Suprême Magus. Auparavant, rien n’était prévu dans les règlements. Le Suprême Magus n’était devenu chef de la Société qu’après la suppression de la fonction de Maître général, renouvelable annuellement ; il existait donc un vide juridique. Wescott avait été désigné par testament de son prédécesseur, qui l’avait été de la même façon par Little, premier Suprême Magus.
C’est également à la même époque que se répandit l’usage de l’appellation latine de la Société¸ Societas Rosicruciana In Anglia, SRIA, concurremment à son appellation en langage courant – dans son allocution de remerciement, le nouveau Suprême Magus S. M. Wescott emploie cette dernière. Au passage, relevons ceci : « Ce rang suprême représente le rang de Suprême Magus mondial, car aussi bien l’Ecosse que l’Irlande tirent leur origine de l’Angleterre, et la Société rosicrucienne des Etats-Unis d’Amérique dérive de l’Ecosse ». Sans commentaire !
Un mot enfin du Collège métropolitain, devenu entité particulière au sein de la Société – au lieu d’être assimilé, comme à l’origine, à la Société elle-même. Il est placé directement sous l’égide du Suprême Magus, puisqu’il n’y pas – ou plus – de Principal Adepte de la province de Londres (il y en a eu un seul, de 1875 à 1885) ; c’est le Suprême Magus qui en tient lieu. A chaque réunion, est présentée une conférence, publiée ensuite dans les Transactions à partir de 1885. A quoi se sont ajoutées diverses autres recherches, sur l’Egypte, le celtisme, le Moyen-Age…, lesquelles ont donné lieu à la fondation, en 1901, du Groupe d’Etudes (Study Group) qui se réunit mensuellement, neuf mois de l’année sur douze ; le Collège métropolitain se réunissant, lui, tous les trimestres.
Les fondations externes
On constate un mouvement relativement précoce d’expansion à l’étranger : en 1886 (la Société a à peine vingt ans d’existence), fondation d’un premier Collège en Australie (Demiurgos), en 1906 même chose en Nouvelle-Zélande.
Sans doute trop précoce. On note plusieurs essais avortés de fondation au Cap-de-Bonne-Espérance en 1874, en Malaisie en 1892, aux Indes en 1904 et 1911… soit que les projets n’aient jamais été réalisé, soit que les Collèges aient eu une existence éphémère.
En fait, à part les deux Collèges australien et néo-zélandais, pendant soixante-dix ans les seules fondations durables ont été circonscrites, à une exception près, à l’Angleterre stricto sensu, avec d’ailleurs des hauts et des bas :
- Six fondations avant la guerre de 14-18, dont quatre en deux ans (1908-1910) ;
- Une pendant la guerre ( à Birmingham en 1915) ;
- Trois seulement entre les deux guerres ;
- Une immédiatement après la deuxième guerre, le deuxième Collège australien en 1946.
Puis plus rien pendant vingt ans.
Mais ensuite, à partir de 1966, c’est l’explosion : 36 Collèges fondés de 1966 à 1990, en vingt-quatre ans, contre 14 durant les 99 années précédentes (du moins 14 durables), dont :
- Sept en Australie,
- Deux en Nouvelle-Zélande,
- Six au Canada,
- Et deux en France (marquant l’implantation de la SRIA dans ce pays),
- Bernard de Clairvaux, consacré le 29 mai 1982
- Montjoie Saint-Denis, consacré le 3 février 1990.
Parmi les fondations avortées, il faut mentionner un épisode curieux.
Le fameux (trop fameux) occultiste allemand Theodore Reuss était entré en correspondance en 1901 avec le Suprême Magus de l’époque, Westcott, lequel avait une inclination marquée pour l’occultisme. Reuss (qui était lié avec Mme Blavatsky et sa Société théosophique) était entré dans à peu près tout ce que l’Europe comptait de mouvements occultistes, avec un appétit de domination souvent couronné de succès : citons, entre autres, l’Ordo Templi Orientis, la Golden Dawn, Memphis-Misraïm, l’Eglise gnostique (une des…), et j’en passe, et en particulier ce qu’il présentait comme une résurgence de l’ « Ordre des Illuminés » (de Bavière). Il écrivit donc à Westcott en vue d’un rapprochement, voire d’une fusion, de l’Ordre des Illuminati avec la SRIA. Westcott se montra alléché, sinon par le projet lui-même, du moins par la perspective de relations étroites. Reuss fut donc reçu dans la SRIA au début de janvier 1902, puis propulsé aux grades supérieurs à la fin du mois. Et, le 4 février suivant, il reçut une patente en vue de la constitution d’une Province de Germanie (Province of Germany), dont il serait le premier Magus, et une autre en vue de la création d’un Collège à Berlin, dont il serait le Célébrant.
Ce Collège se réunit pour la première fois le 8 juillet sous le présidence de Reuss et avec la participation de neuf autres Fratres, qui n’avaient jamais été admis dans la Société. Mais, selon le procès-verbal, trois de ces frères (dont Reuss lui-même évidemment) étaient depuis longtemps Fratres Rosae Crucis, ayant été « précédemment initiés par un Frater allemand qui conservait secrètement les anciens et authentiques enseignements à lui transmis par l’un des premiers Frères R+C, et ils accueillirent avec faveur les nouveaux membres en les invitant à se réunir à la Société visible et exotérique constituée selon la nouvelle Charte anglaise ». Ce qui intéressait Westcott, c’était cette Société invisible. Malheureusement, comme Reuss devait l’en informer à son grand regret, les membres de l’ancien Ordre des Illuminati préféraient demeurer invisibles et ne pas se mêler au Collège patenté par la SRIA.
Au cours de la même réunion, Reuss lut une communication sur les rapports entre les anciens et les nouveaux rosicruciens, avec une instruction pour les Fratres nouvellement admis. Puis il annonça la fondation prochaine de Collèges à Hambourg, Munich, Zittau, Rudolfstadt et Cologne.
Malheureusement, cinq ans plus tard, en 1907, le Haut Conseil, n’ayant plus aucune nouvelle de Germanie, se résolut à révoquer la patente.
Episode révélateur ! Comme au XVIIIe siècle, auquel la fin du XIXe fait penser à bien des égards, on retrouve des thèmes bien connus : celui des Supérieurs Inconnus, celui des connaissances secrètes transmises, à l’insu de tous, de Grands Initiés en Grands Initiés, celui des pouvoirs occultes, etc. Et c’est sans doute parce que la SRIA manquait vraiment d’occultisme que Reuss s’en désintéressa si vite.
Relations de la SRIA avec quelques organisations contemporaines
Au XIXe siècle finissant comme au XVIIIe siècle dans sa seconde moitié, on assiste à une efflorescence de mouvements et organisations ésotériques, occultistes et autres, maçonniques et para-maçonniques, kabbalistiques, hermétiques, alchimiques, rosicruciens, templaristes, magiques, etc., sujet trop vaste pour l’aborder maintenant. Pour ce qui concerne le rosicrucianisme, je renvoie aux ouvrages de Roland Edighoffer, notamment son très remarquable petit Que sais-je ?, ainsi qu’à l’ouvrage de Christopher McIntosh La Rose-Croix dévoilée [5].
Je ne parlerai que de deux de ces organisations.
- La Golden Dawn (Hermetic Order of the Golden Dawn, Ordre hermétique de l’Aube d’Or) n’est pas issue de la SRIA. Elle fut la création quasiment ex nihilo d’un membre de la SRIA, Mathers, ce qui n’est pas du tout la même chose – cela en 1887. Certes, on ne peut nier qu’au départ, il parvint à associer à son entreprise le Suprême Magus de l’époque, Woodman (l’auteur, en passant, des clavicules n° 1, et 4), et celui qui devait être son successeur, Westcott, dont on a déjà noté le goût pour l’occultisme ; mais ceux-ci s’en retirèrent au bout de quelque temps, peut-être lorsqu’ils réalisèrent qu’ils avaient été abusés. En effet, le fondement même de la Golden Dawn, à savoir la correspondance avec une initiée allemande, Ann Sprengel, au moyen de laquelle cette dernière transmettait rituels et initiation magique, était une imposture pure et simple, la pseudo-Sprengel n’ayant jamais existé et les rituels ayant été fabriqués de toutes pièces par Mathers. De toutes pièces, mais sur un modèle préexistant, à savoir l’échelle des grades qui était originellement celle des Rose-Croix d’Or d’Ancien Système du XVIIIe siècle (disparus en 1785).
A part cette similitude et bien entendu le fait que les rituels étaient tous centrés sur la légende de Christian Rosenkreutz, il n’y avait aucun point commun entre la Golden Dawn et la SRIA. En particulier celle-ci est totalement exempte de ce caractère magique qui en est le fond essentiel et qui fut par la suite exacerbé par le fameux Crowley ; tandis que, de son côté, Arthur Waite (membre éphémère de la SRIA) révisa en sens inverse les rituels pour y atténuer cet aspect magique au profit de leur aspect mystique.
Donc, entre la SRIA et la Golden Dawn, des rapports circonstanciels et épisodiques, mais aucune liaison fondamentale et essentielle.
- En revanche, je dois mentionner un autre fait historique, lui aussi circonstanciel. Le fondateur de la SRIA, Little, avait développé concuremment, et avec un vif succès, un Ordre chevaleresque chrétien, « L’Ordre de la Croix-Rouge de Constantin » (The Order of the Red Cross of Constantine), qui remontait à la fin du XVIIIe siècle, mais était depuis lors tombé en sommeil jusqu’à ce que Little prenne en mains ses destinées, en même temps qu’il fondait la SRIA. Succès éclatant ! De 1865 à 1873, 120 Conclaves furent fondés, jusqu’en Inde, et même en Chine…(ce qui ne fut pas le cas pour la SRIA).
Or, si la qualification requise était – et est toujours : 1) d’être Compagnon de l’Arche royale, et 2) d’être chrétien, on peut, sans trop forcer les choses, considérer en lui le versant chevaleresque de la SRIA.
Conclusions en forme d’interrogations
Cet exposé cursif est loin d’être exhaustif. Et surtout, plusieurs questions demeurent sans réponse :
La première est : d’où sort réellement la SRIA ? En particulier, d’où provient cette Rosicrucien Society écossaise des années 50 qui fut sa souche et dont notre SRIF se réclame ?
Quels rapports avec l’Ordre des Rose-Croix d’Ancien Système dont elle reproduit l’échelle des grades ou degrés avec leurs dénominations ? S’agit-il d’un plagiat pur et simple, ou y eut-il autre chose ?
Y a-t-il eu, par rapport au courant rosicrucien au sens large, filiation, ou bien reprise, reconstitution ?
Mais d’ailleurs, qu’entendre par courant rosicrucien ? N’est-il pas plus exact de parler d’aspiration rosicrucienne, laquelle trouve, par épisodes, sa concrétisation dans des périodes propices ?
Autant de voies de recherche qui sont ouvertes à ces quêteurs inlassables de vérité, et de vérités, que sont par leur nature et leur aspiration les membres d’une Société rosicrucienne telle que la nôtre.
‡ Jean-François Var
Amicus Dei
Mars 1990 – Mai 2023
Bibliographie sommaire
Françoise Bonardel
La voie hermétique. Introduction à la philosophie d’Hermès (Paris, Dervy-Poche, 1ère édition 1985, 2011)
Roland Edighoffer
- Les Rose-Croix (Paris, PUF, Que sais-je ?, 1994, n. éd. 2005)
- Les Rose-Croix et la crise de la conscience européenne au XVIIe siècle (Paris,
- Dervy, 1998)
Christopher McIntosh
La Rose-Croix dévoilée : histoire, mythes et rituels d’une société secrète (Paris, Dervy, 1981)
Antoine Faivre
L’Esotérisme au XVIIIe siècle en France et en Allemagne (Paris, Seghers 1973)
Accès de l’Esotérisme occidental (Gallimard, 2 vol. 1986 et 1996). En particulier l’Introduction : Définitions et positions (pp. 13 à 49 du volume I) et le chapitre Sources antiques et médiévales des courants ésotériques modernes (pp. 51 à 135 du même vol.)
L’Esotérisme chrétien du XVIe au XXe siècles, in Histoire des religions (Paris, NRF, Encyclopédie de la Pléiade, 1972, t. II, pp. 1304 à 1362).
Frances Yates
L’Art de la Mémoire (Paris, Gallimard, 1975)
La lumière des Rose-Croix. L’Illuminisme rosicrucien (Paris, C.A.L. 1976)
Giordano Bruno et la tradition hermétique (Paris, Dervy, 1988)
La Philosophie occulte à l’époque élisabéthaine (Paris, Dervy, 1987)
Le Théâtre du monde (Paris, Allia, 2019)
Raymond Lulle et Giordano Bruno (Paris, PUF, 1999)
François Secret
Les Kabbalistes chrétiens de la Renaissance (Milan, Archè, 1985)
Serge Hutin
Robert Fludd, alchimiste et philosophe rosicrucien (P riss, Omnium littéraire, 1972)
Johannes Reuchlin
De Arte Acalistica (trad. fr. par F. Secret : La Kabbale, Paris Aubier, 1964)
Georges de Venise (Giorgio di Venezia)
De Harmonia Mundi (trad. fr. L’Harmonie du monde par Guy Lefèvre de la Borderie, 1578, reprint Arma Artis, 1978)
Francis Bacon
La Nouvelle Atlantide (trad. fr. Paris, Flammarion poche, 1997)
John Dee
La Monade hiéroglyphique (trad. fr. Grillot de Givry, réimpression de l’édition de 1925, Amici Librorum, 2021)
Nicolas de Cuse
Anthologie, dont le traité « De la Docte ignorance » et autres textes (Paris, Cerf, 2013)
N.B. A mon grand regret, je dois formellement déconseiller le « B.A. BA Rose-Croix » de Jean-Marc Vivenza aux Éditions Pardès. Cet ouvrage comporte certes de nombreux éléments documentaires ; cependant il est déparé par un fanatisme guénonien, qui ne surprendra que ceux qui ne connaissent pas l’auteur, et une non moins fanatique hostilité à l’égard de l’Eglise catholique, qui n’a pas lieu d’être dans une étude de cette nature.
L’anthologie qui précède n’est évidemment qu’une esquisse très sommaire, mais on peut trouver dans les ouvrages cités de multiples et passionnantes pistes de recherche.
[1] Cercle Mystique. Rituel traditionnel d’ouverture et de fermeture.
[2] C’était le chef de l’Ordre de Constantin.
[3] Sans doute Jésus.
[4] Il serait intéressant d’avoir un reproduction de ce diplôme pour le comparer à l’actuel.
[5] Cf. la bibliographie annexée.